Escalade au Wadi Rum, 1999

Cette mini-expé de varappe dans le désert jordanien, organisée dans le cadre des activités de la section, fait suite à d'autres entreprises semblables. Il y a un peu plus de dix ans, Alain Vaucher organisait un voyage d'escalade dans le Hoggar algérien. Plus récemment, l'OJ se rendait au Maroc pour vivre une expérience de varappe sous le soleil du sud. Allons-nous vers une tradition de la varappe dans le désert?

Il y a 30 ans, Wadi Rum était une maison fortifiée au bout d'une piste dans le désert jordanien. Quand nous y étions arrivés à bord de notre vaillante Citroën Ami 6, mes amis et moi y avions trouvé quelques policiers chargés de surveiller le trafic entre la Jordanie et l'Arabie Séoudite. Le sentiment d'austérité que transmettait la maison fortifiée avait bientôt fait place à plus de chaleur quand nous fûmes invités à boire le café arabe par un officier de police coiffé d'un kéfir rouge. Encore aujourd'hui, je n'ai pas oublié le souvenir de ce café offert, préparé à la turque, mais aromatisé en plus des saveurs de cacahuètes et de cardamome.

Assis sur une vire de grès rouge ombragée, assuré à un friend placé dans une fissure au-dessus de moi, je file régulièrement la corde qui monte vers Cédric. Je sais qu'il se démène dans une cheminée et à entendre son souffle, je comprends que ce n'est pas facile. De toutes façons, il est bien assuré par un autre friend qu'il vient de poser et mon relais est béton. Les mains prêtes à bloquer la corde, mais pas inquiet, je laisse mon regard explorer les falaises de grès qui nous entourent.

Le désert du Wadi Rum est comme une mer de sable située à 1000 m d'altitude et peuplée de nombreuses îles de grès, qui s'élèvent parfois jusqu'à 1700 m. Les bords des îles sont constitués de parois abruptes de grès rouge fortement structuré, formant en de très nombreux endroits, des falaises propices à l'escalade.

Dans cet archipel d'îles du désert, l'île la plus grande est la montagne Rum ou Jebel Rum . Large de 5 km et long de 10, le Jebel Rum offre de très nombreuses voies d'escalade dont la plupart sont situées à proximité du village Wadi Rum où un relais touristique, appelé resthouse, offre aux grimpeurs un petit camping confortable.

Au mot "relais" crié par Cédric, je libère mon assurage et me prépare à le rejoindre. Je m'élève dans la cheminée. A mesure que je progresse, je récupère le matériel d'assurage qu'il vient de poser. Quelques sangles, mais surtout des friends. Dans nos lectures de préparation à ce séjour d'escalade, nous avons vite compris qu'il ne suffisait pas de venir avec quelques dégaines et nous avons donc emporté un matériel complet fait de jeux de friends, de coinceurs, de nombreuses sangles et cordelettes.

En fait, si les voies sont dépourvues d'équipement, la structure du rocher favorise la pose d'équipement d'assurage. Les colonnettes de grès sont idéales pour la pose de sangles et les nombreuses fissures et trous sont autant de possibilités pour y placer judicieusement un coinceur ou un friend.

Je rejoins Cédric installé à son relais, prends le matériel restant et me lance dans une suite de passages en me laissant guider par les fissures qui marquent la ligne de l'ascension. Heureusement que nous avons bien observé la montagne d'en bas, avant de nous y engager. Topo en mains, nous avons pu prendre les repères qui nous sont maintenant bien utiles pour guider notre ascension.

L'ombre que le massif projette sur la plaine désertique s'allonge progressivement. Le grès blanc rosit et le grès rouge devient écarlate. Encore deux longueurs. Nous atteignons le sommet au moment où le soleil descend sous l'horizon. La vue porte au loin. Les îlots rocheux dressent leurs silhouettes dans ce paysage que gagne la pénombre.

Au départ du resthouse, les voies d'escalade sont variées et nombreuses. Se pose donc le choix d'une voie. Au début, pour s'habituer au style de grimpe et à la qualité de la roche, il est recommandé, de ne pas viser trop haut sur l'échelle des difficultés. Nous nous lançons donc d'abord dans Salim (5+, 100 m), une voie très proche, puis, l'appétit venant, nous attaquons cette même journée, la face est de Vulcanics Tower (D, 300 m) que nous redescendons à la lueur des frontales.

Le lendemain, c'est une escalade fabuleusement belle dans la voie nommée Black Magic (D sup, 300 m). Nous nous habituons gentiment à la structure, forme, rugosité et relative solidité du grès; le tracé, l'exposition et le style des voies nous sont plus familiers. Nous croyons même avoir compris le cheminement des voies de descentes, mais là, ça se révèle être une illusion, le lendemain déjà.

Engagés dans Al Thalamiyyah (AD sup, 500 m), une voie ouverte jadis par les Bédouins, nous avons trouvé un canyon sauvage, de la grimpe à profusion, variée à souhait, souvent exposée, une arête tourmentée, richement structurée, pleine de champignons à enjamber et de tétons à empoigner.

Nous nous sommes aussi égarés plus d'une fois et arrivé au sommet de la voie, nous avons préféré un retour par le même itinéraire à un bivouac sans eau au sommet du Jebel Rum. Les nombreux passages de 4+ et 5- nous laissent admiratifs devant les bonnes capacités des Bédouins en sandales à monter, et plus encore à redescendre ces voies.

Il était clair pour nous que l'ascension du Pillar of Wisdom (TD inf, 350 m), allait durer la journée. Nous avons donc prévu 4.5 litres d'eau par cordée. Parti à l'aube, nous atteignons le pied même du pilier au moment où, du minaret du village, nous parvient le chant encore matinal du muezzin. Quelle ambiance pour partir dans le pilier de la sagesse! Nous formons deux cordées de deux et enchaînons les longueurs.

L'attention reste vive car le passage clé est réservé pour... la dernière longueur. Arrivés au sommet, la joie n'en est que plus vive. La descente est comme prévue, compliquée à souhait. Sont-ce les cairns ou est-ce déjà la sagesse qui nous conduisent à bon port à travers le labyrinthe du retour?

Les journées de la deuxième partie de notre séjour sont organisées selon un rythme différent. Nous dormons maintenant à la belle étoile.

Quand le soleil se lève, nous embarquons sur le véhicule 4x4 de notre chauffeur Eid qui nous conduit au massif choisi pour la journée.

C'est sous un soleil écrasant que nous parcourons le Bal des Chameaux (5, 100 m) avec son magnifique dièdre.
Puis c'est encore l'étonnante voie Purple Haze ( D, 300 m) où nous pouvons maintenant mettre à l'épreuve tout notre art de recherche de l'itinéraire

Plein d'enthousiasme, André nous égare et c'est Marc qui fait des prouesses d'équilibriste pour sortir de la voie.

L'escalade entre amis, la découverte d'un site fabuleux, le contact avec le grès, les voies magiques nous ont enthousiasmés.

L'ivresse du Rum, quoi!


© Heinz.Hügli 26.03.2002