Sommet situé dans le massif de l'Hindu
Kush au Pakistan
Expé sous la direction de Simon Perritaz.
De gauche à droite
Debout : Jean-Claude Lanz, Christina Meillard, Antoine Brenzikofer, André Geiser,
André Müller, Simon Perritaz
Accroupis:
Yann Smith, Jean-Michel Zweiacker, Albertino Santos
Manque sur la photo: Thierry Bionda
1. Simon Perritaz:
Expé2000 est encore trop fraîchement entrée dans nos mémoires pour en rappeler
ici des faits connus de tous. La première présentation du diaporama date à peine
d'une année et nous ne savons pas encore quand aura lieu la dernière.
Dès lors ne serait-ce pas plus intéressant de nous pencher sur un autre sujet qui
fut une des particularités de cette expédition?
Première question: croyez-vous qu'il soit facile d'innover dans l'organisation d'une
expédition Neuchâteloise en Himalaya et, par exemple, proposer l'équipement d'un
téléphone satellite?
Et bien voici un sujet idéal pour sortir des sentiers battus et revisiter cette
aventure sous un angle relativement peu abordé jusqu'ici.
La question précise du téléphone satellite a longtemps été un problème difficile
à résoudre au sein de l'équipe. Il y avait évidemment les "pour" et les "contre".
La sécurité était l'argument principal des "pour" alors que le prétexte des "contre"
était la crainte de voir certaines relations se poursuivre ainsi et venir "saper
le moral des troupes" jusqu'au camp de base. Pour ces derniers, partir en Himalaya
devaient être - comme toujours jusque-là - une coupure complète du milieu natal
et affectif!
La question de la sécurité a finalement fait pencher la balance et le déroulement
futur a donné raison à ceux qui avaient soutenu ce choix.
Avec le recul, je n'arrive toujours pas à imaginer comment nous aurions fait pour
descendre Thierry en plaine depuis le camp 1. Traverser ces vastes glaciers, ces
gigantesques moraines où il fallait souvent sauter d'un caillou à l'autre, monter
et descendre des moraines raides et instables, traverser des rivières latérales
à gué, tout cela sur plusieurs dizaines de km, je ne suis même pas sûr que certains
passages soient possibles avec un brancard, sans compter l'enfer que doit vivre
le blessé dans de pareilles circonstances. On peut encore ajouter qu'arrivé à Shagrum,
son transport par Jeep sur les pistes qui mènent à Chitral, aurait été un nouveau
supplice pour celui-ci. L'alternative d'envoyer un "mail-runner" depuis le CB aurait
été un autre casse-tête car il fallait résoudre de nouvelles questions administratives
et financières entre l'ambassade, les assurances suisses et les autorités militaires
pakistanaises. Le dépôt de 4000.- $ au départ de l'expédition n'y a pas suffit puisque
toutes ces dernières questions ont surgi juste avant le départ - non pas d'un, mais
de deux hélicoptères.
Le téléphone satellite, malgré son coût exorbitant (1000 $, uniquement pour le sauvetage
de Thierry) et ses complications technico-politiques (impossible de se faire appeler
directement depuis le Pakistan), fut réellement l'objet providentiel dans cette
affaire.
Pour la question des communications personnelles des membres, nous avions établi
un mot d'ordre à l'avance: on communique avec la Suisse uniquement avec le fax.
Cette règle a été respectée un certain temps, puis petit à petit des membres se
sont mis à téléphoner directement… comme pour donner raison, à ceux qui avaient
tort!
En conclusion, il faut avoir un consensus d'équipe très clair sur le mode d'utilisation
d'un téléphone satellite. Au-delà de ce qui se passe sur place, les interprétations
reçues en Suisse par les différents membres amènent bien sûr de nouvelles difficultés
à gérer, celles du mélange des craintes, des manques et des espoirs de chacun et
qui alimentent ainsi une réalité parallèle à l'histoire réellement vécue par l'équipe.
Malgré cela, je pense qu'un téléphone satellite devient de plus en plus incontournable
dans une telle entreprise. Cependant, à chaque fois, il faudra réapprendre à gérer
ce superbe moyen technique pour qu'il ne travaille pas contre mais pour le bon déroulement
de l'expédition.
2. Doris Geiser:
Jeudi, 13 juillet 2001, 13h05: pour la première fois depuis le départ de nos
alpinistes nous pouvons avoir un contact par fax avec eux. Avec joie j'écris à André
et lui annonce que tout se passe bien à la maison. Après de multiples essais ma
missive part enfin. Un drôle de sentiment m'envahit: mon fax passe et en même temps
mon écriture apparaît au CB de l'Istor-O-Nal! Pour une fois j'apprécie la technique
moderne!
Je me suis souvent posée la question quant à l'utilité d'un fax ou d'un téléphone
par satellite en expédition. Aujourd'hui avec le recul, j'affirmerais sans hésitation
OUI pour un téléphone par satellite pour demander du secours. Par contre pour donner
ou recevoir des nouvelles, je réponds sans hésitation NON.
Pendant son séjour André m'a téléphoné une fois; ce coup de fil était inattendu.
Je suis restée quasiment muette. Dès la communication terminée j'avais tellement
de questions à lui poser mais c'était trop tard! En plus j'avais l'impression que
la voix d'André n'était pas la même que d'habitude. Ce coup de téléphone m'a beaucoup
plus déstabilisée que réconfortée.
Quant au fax je ferais plus de nuances. C'est agréable d'envoyer ou de recevoir
des nouvelles, mais selon ma propre expérience je sais que l'ambiance, les problèmes
et les questions que l'on se pose souvent en expédition ne sont pas transmissibles
par fax. Et malheureusement n'essaye-t-on pas de lire entre les lignes, d'analyser
et d'interpréter l'écrit? Les membres de l'expé et les familles restées en Suisse
ne se trouvent pas dans les mêmes circonstances. Ils vivent dans deux mondes complètement
différents. Les valeurs, les priorités et l'ambiance ne sont plus les mêmes. Je
n'arrête pas de me poser la question: pourquoi faut-il toujours être au courant
de ce qu'il se passe en expédition? Pourquoi a-t-on besoin de tout savoir? Est-ce
que cela ne serait pas mieux pour les proches d'accepter que les montagnards vivent
quelque chose d'exceptionnel qui leur appartient, de leur faire confiance et de
les laisser vivre cette expérience?
Et pour les membres de l'expédition n'est-ce pas la même situation? Le fax rapproche.
Ce lien est comme un "cordon ombilical", les alpinistes restent rattacher à leurs
familles et à la vie en Suisse. En partant en expédition n'a-t-on pas envie de couper
avec la vie de tous les jours, d'avoir l'esprit libre, de s'imprégner de l'ambiance
et de la nature et de vivre intensément le moment présent?
Ces quelques réflexions sont mes propres réflexions. En discutant avec d'autres
proches des membres de l'expédition je me suis rendue compte que les avis quant
au fax divergent. Mais c'est justement cette différence qui fait la richesse des
échanges.
En conclusion je dirais: pas de nouvelles, bonnes nouvelles et, de toute façon,
les mauvaises nouvelles arrivent toujours assez tôt.
3. Jean-Claude et Mady Lanz
Participer à une expédition en Himalaya nécessite un engagement total de soi. Parfois, il est préférable d'être totalement "déconnecté" du monde afin de ne pas être perturbé et aussi pour ne pas perturber ses proches. Qui ne s'est pas demandé un jour, pendant une course, ce qu'il faisait là? Cela arrive parfois si le temps est maussade ou les difficultés sérieuses, mais dans une expédition, cela peut nous surprendre simplement au camp de base. Dans ce cas là, avoir un téléphone à portée de main est à double tranchant. D'un côté, cela peut aider à passer le cap, de l'autre cela peut nous plonger encore plus profondément dans le doute et l'instabilité. De plus, ces considérations sont aussi valables dans l'autre sens, pour les proches qui peuvent recevoir et donner des nouvelles. Si à l'autre bout du fil le moral est bon et la confiance totale, le téléphone peut être un bon moyen pour garder le moral. Si par contre le doute passe au travers du fil, les questions "qu'est-ce que je fais là?"" ou "que fait-il là bas?" deviennent lancinantes. Afin de savoir comment le téléphone a été perçu en Suisse, je donne la parole à Mady.
Depuis très longtemps je suis confrontée à l'angoisse que provoque un mari qui
fait de la montagne. Celle-ci était particulièrement grande quand je restais à la
maison avec les enfants et attendais son retour. Il y a vingt ans, lors d'un cours
alpin, il est parti faire l'arête nord du Weisshorn pendant le week-end. Le dimanche
soir, pas de téléphone! J'ai passé une nuit d'angoisses et de prières et depuis
ce jour là, j'ai compris que cela ne servait à rien de se mettre dans cet état là.
Nous avons tous une destinée et il faut l'accepter. Depuis ce jour là, je n'ai plus
eu peur. Je sais qu'il fera toujours tout pour revenir, mais si un accident devait
se produire, c'est que ça devais arriver.
Le téléphone-fax pendant cette expédition a été pour moi une bonne chose. Toutes
les semaines je savais ce qu'il se passait. Même s'il y avait des chutes de pierres,
des avalanches ou un tremblement de terre, j'étais tranquille car je leur faisais
entière confiance. Il a été très utile au moment ou Thierry s'est blessé. Nous avons
été rassurés tout de suite et nous avons pu attendre son rapatriement avec plus
de calme.
4. Anouk Perritaz:
Lorsque Simon me demanda d'écrire quelques mots en lien avec la communication
des deux dernières expéditions, j'ai d'abord pensé que cela était bien loin et puis,
je me suis souvenue...
Il y a maintenant 7 ans que l'expédition du Labuche Kang a eu lieu. Les moyens technologiques
étant ce qu'ils étaient à l'époque, les seuls contacts se sont faits par la poste.
Comment raconter l'expérience qui fut la mienne et celle de mon entourage proche
durant les semaines qui suivirent le départ?
La boite aux lettres devint un endroit doté d'un pouvoir exceptionnel. Vide souvent,
malgré l'amas journalier de courrier divers. Pleine lorsque la lettre attendue,
écrite 15 jours auparavant, arrivait enfin. Fébrilement, je lisais très vite et
puis relisais plus tranquillement. A chaque fois, mes pensées vagabondaient et je
me surprenais à me demander: "et maintenant, juste maintenant, es-tu en vie?". L'instant
présent prenait alors toute son importance et ma question restait sans réponse.
L'inquiétude persista jusqu'au jour où cette fois, le téléphone sonna "nous rentrons".
5 ans plus tard, l'Istor-O-Nal allait davantage faire parler de lui dans beaucoup
de chaumières grâce à un téléphone et à un fax. Les événements, accompagnés de moult
détails journaliers, furent connus de tous. La communication directe changea alors
énormément les choses.
Je suivais jour après jour l'avancement de l'expédition. Ce qui fut sans doute le
plus marquant pour moi fut de savoir, cette fois ci, qu'à certains moments tout
se passait bien. Le fait de recevoir un fax personnel ou un téléphone me rassurait.
Et durant de longues heures, je ressentais un soulagement indicible.
Je vécu deux expériences similaires avec son lot d'inquiétudes, mais les nouveaux
moyens rapides de communication ont joué un rôle important pour ma famille en diminuant
fortement la dose de stress occasionné par une telle aventure. Nous étions plus
calmes et plus sereins.
Il n'est pas simple d'être liée à un être absent et de continuer à vivre normalement.
La communication directe m'y a toutefois beaucoup aidée.
Je souhaite plein de force et de courage à tous ceux qui restent et resteront...