6 août
5h 00, ambiance glaciale, -15°, le givre a envahi la tente. L'équipe de tête tente le réveil. Première étape, allumage de réchaud, ok. Deuxième étape périlleuse, sortir du sac de couchage. Au moindre mouvement, le givre se décolle et nous impose une toilette matinale dont on se passerait volontier. A partir de ce moment, la principale difficulté de la journée semble passée. S'habiller aussi vite que possible, enfiler pantalons, souliers, Gore-tex, bonnet, gants. Tout cela semble facile... Eh bien non! Les fermetures éclair refusent de fonctionner. Maladroit avec ses gants ou à peine plus adroit les doigt complètement engourdis, il faut choisir. Le plastique des souliers rigide comme de la fonte, les lacets raides comme des câbles rendent l'opération "chaussures aux pieds" quasi impossible. Aussi s'équiper par ces conditions demande beaucoup de persévérence et de maîtrise de soi pour éviter de tout abandonner et de replonger dans les plumes même si les noms d'oiseaux fusent au grand bonheur des plus chanceux qui restent dans les plumes ce jour-là.
Enfin le soleil pointe et les difficultés du réveil sont oubliées. Une série de trois rappels nous conduit dans la combe des Japonais. Trois quarts d'heure de marche et 200 m de remontée au Jumar et nous voilà au col tant convoité. Altitude 6000 m, le col de la dimension d'une selle de cheval, sans le rembourrage, permet l'accès à l'arête qui devrait nous ouvrir la voie royale au sommet.
Pour qualifier cette arête et ses difficultés, il faut se représenter une coupe meringuée chantilly géante qu'il faudrait gravir par ses arêtes, ses aplombs, ses corniches. Itinéraires pas évidents. La meringue qui s'effrite ou la chantilly sans consistance. Quoi qu'il en soit, la voie pour le sommet passe par là. Aussi, mètre après mètre, nous progressons, reculons, progressons pour établir après chaque journée un ou deux relais supplémentaires synonymes de nouvelles avancées cher payées. Par ci, par là surgissent vieux pitons et vieilles cordes à lessive, témoins ou spectres de la tentative japonaise. Lessivés, cordes fixes posées jusqu'au plus haut point de la journée, nous entamons sous les derniers rayons du soleil, le retour au camp 2. Les trois rappels du matin se rappellent à notre bon souvenir, surtout au souvenir du jumar, dernier rempart pour un retour au camp. Souper, déshabillage, et plouf dans les plumes. Pour la suite on peut repartir au haut de la page.
Yann Smith