Cette nuit, un rocher de plus de quatre cents tonnes a basculé de son socle de glace et a secoué notre glacier d'une longue vibration. Il marquait, à sa manière, le mois écoulé depuis notre départ et nous rappelait, s'il était encore nécessaire, notre fragilité et notre vanité.
Le paysage change à vue d'oeil, le glacier fond si vite que nos tentes se retrouvent sur des collines en quelques jours, les séracs, en guirlandes autour de nous, égrènent les heures de leurs grondements; les couloirs crachent leurs pierres aux heures chaudes de la journée. Avec l'habitude, on ne tourne la tête que pour assister aux phénomènes les plus monstrueux.
Le travail a pris son rythme de croisière, les portages se succèdent aux portages pour l'équipe de soutien, tandis que l'équipe de tête travaille d'arrache-pied à l'établissement du camp 3. Chacun a ses petits soucis: intestins en déroute, plaie qui ne cicatrise pas, articulation qui grince, mais il suffit de lever les yeux et tout est oublié devant l'élégance des lignes, la majesté du sommet.
Si, techniquement, la principale difficulté (C1 à C2) est passée, elle représente encore un formidable rempart à notre avancée: y remonter aux jumars (poignées autobloquantes), chargé de matériel, est très pénible et demande beaucoup d'attention. Même si l'itinéraire est très sûr, il est composé d'une soixantaine de tronçons de corde, dont la longueur varie de dix à cinquante mètres, et chaque ancrage, chaque centimètre de corde est quotidiennement contrôlé sans compter toutes les manoeuvres que cela implique, soit à la descente, soit à la montée.
L'expédition arrive à son tournant. Le camp 3, bientôt installé, va ouvrir les portes du sommet, car les grosses difficultés sont , semble-t-il, surmontées. Dans les prochains jours, l'équipe de soutien va monter au camp 2 le gros du matériel nécessaire et gentiment commencer à gagner les étages supérieurs.
Conditions physique et météo vont être les arbitres de cette partie contre le temps, mais l'Hindu Kush est réputé pour sa stabilité météorologique et les Neuchâtelois pour leur endurance.
Nous envoyons à Thierry toutes nos pensées et espérons donner des nouvelles dans quelques jours.
Salutations pakistanaises.
Antoine Brenzikofer