par Nadia Hügli
Samedi 3 avril, 6 heures du matin, vingt personnes chargées de sacs de voyage, de sacs à dos et de housses de ski, rejoignent les unes après les autres le hall encore glauque de la gare de Neuchâtel. Les uns s'embrassent, d'autres se serrent la main ou font connaissance. Tout ce petit monde s'embarque via le train Neuchâtel-Zurich aéroport, via l'avion Zurich-Helsinki, Helsinki-Kittilä, pour une aventure de dix jours, voire quatorze pour six d'entre eux, dans le nord de la Finlande, en Laponie.
L'aéroport de Zurich est bourré par les départs de Pâques, et sans l'énergique initiative de Jean-Paul, nous y serions encore. A Helsinki, le transfert de l'aéroport international aux lignes domestiques est plus tranquille, et nous voilà confortablement installés à bord, à deviner entre les nuages le paysage finlandais qui blanchit au fur et à mesure que nous montons vers le nord. Mais oui, nous aurons de la neige à souhait! A Kittilä, qui baigne dans une lumière à la fois vive et douce, nous mettons pour la première fois les pieds dans la neige laponne. Le raid à skis de fond peut commencer.
Pour la plupart d'entre nous, c'est le premier contact avec cet immense pays de forêts de pins et de bouleaux rabougris, de surfaces gelées (188 000 lacs sur toute la Finlande), de traces de skidoos (les moto-luges locales), de troupeaux de rennes aux grands yeux étonnés, dont nous verrrons d'abord les traces, puis les spécimens en chair et en os. Nous sommes aussi dans la région des Tunturis, les alpes du coin, qui se sont érodées au fil des millénaires en collines nues et peu élevées (800 mètres au maximum) d'où le regard porte à l'infini sur le puzzle des taches claires et foncées des lacs et des forêts. Pendant huit jours, nous allons tourner dans ce paysage où la neige est régulière et abondante.
Les pistes, qu'elles soient de skating ou de ski classique, préparées à la perfection, traversent des régions touristiques fréquentées par des Finlandais en vacances, ou vagabondent solitaires et sauvages, fils d'Ariane tissés tout spécialement pour nous par notre guide Hannu. Chaque soir, après 30 à 50 km de plaisirs glissés ou d'efforts plus soutenus, nous retrouvons le confort finlandais dans les maisons mises à disposition par l'habitant, dans les cabanes forestières ou dans la ferme aux rennes. Partout nous apprécions la sauna réparatrice, qu'elle soit à l'intérieur de la maison ou dans une petite cabane voisine comme à Purakaltio: assis dans le plus simple appareil, en rang d'oignons, nous transpirons allègrement en baignant dans la lumière que diffuse la petite fenêtre. C'est l'occasion pour Francis, Heinz et Jean-Claude de se jetter avec de grands cris dans la neige, entre deux suées.
Chaque matin, après un confortable petit-déjeuner où le pain et la confiture traditionnels se partagent l'assiette avec le porridge à la sauce myrtille, l'omelette aux champignons et les roll-mops odorants, chacun doté de son sandwich et de son thé chaud pour la pause de midi, et après la cérémonie quasi religieuse du fartage ("C'est du bleu ou du vert aujourd'hui?"), nous chaussons enfin les skis, Willy ayant donné le signal: "Nous, les femmes, nous y allons déjà! ". Le ciel est dégagé, le soleil encore pâle est là, il ne fait pas si froid malgré les températures basses.
Rauhala, Köngäs, Sirkka, Aakenuspirti, Keräs-Sieppi, Hannukuru: des noms difficiles à prononcer et à mémoriser d'abord, puis qui résonnent peu à peu comme une musique familière et dont nous retenons ça et là le sens.
Des petits faits jalonnent notre chemin au fil des jours et renforcent la cohésion et la bonne humeur du groupe: le feu préparé la veille par Hannu et allumé par Jacques pour le pique-nique du midi, au détour d'une piste sauvage; le champagne qui chante un soir dans les verres pour l'anniversaire de Christiane; la frayeur causée par les trois chiens polaires bondissant autour de Brigitte, Jean-Daniel et moi, et notre surprise de voir leur propriétaire, serviette autour de la taille, surgir de sa sauna pour venir les calmer; la visite de la galerie d'art de Pöntsö, où nous apprécions tout autant la beauté tranquille de la maison que les tableaux des peintres locaux; les montagnes russes qui s'étirent à n'en plus finir le long des poteaux électriques et qui nous font parvenir, suant et pestant, au Centre des visiteurs de Pallastunturi; les collisions, évitées de justesse, de Jean-Francis avec le renne qu'il tente d'apprivoiser et celle de Jean-Claude avec l'avion qui emprunte la même piste que lui.
Lorsque l'hôtel Hetta nous voit arriver, les uns à la suite des autres, après les 50 km de cette dernière étape, c'est l'euphorie, les rires, les félicitations, la joie: chacun est là, tout le monde a pu finir le raid.
Demain, dimanche, ce sera le repos pour les uns, encore un peu ou même beaucoup de ski autour de Hetta pour les autres.
Grimpée au sommet du Paljasselkä, seule sous un ciel un peu couvert, je me plonge une dernière fois dans la luminosité si particulière de ce coin de terre.
Nadia Hügli-Valois